Avez-vous pris connaissance du dernier palmarès Technology Fast 50 (publié début mai), qui récompense les entreprises françaises selon le critère du taux de croissance du chiffre d’affaires (CA) sur les quatre années écoulées ? Et avez-vous lu « Accélération, dans les coulisses de l’hypercroissance » (Nicolas Minvielle, Martin Lauquin et Nicolas Caruso), sorti en début d’année ? On vous propose une séance de rattrapage express ?

Genèse d’un petit livre écrit à toute vitesse

Tout a commencé l’an dernier, à la sortie du palmarès établi par le cabinet Deloitte, qui classe (depuis 2001), les cinquante entreprises nationales dont la croissance du CA a été la plus vertigineuse : constatant alors des taux de l’ordre de 5000% (ils montent jusqu’à 6528% cette année, la palme revenant à Ubitransport), Nicolas Minvielle et Martin Lauquin se sont interrogés. Comment fait-on pour générer de la croissance dans de telles proportions ? Quelles sont les problématiques auxquelles ces entreprises ont dû faire face ? Ont-elles des dénominateurs communs ?

Pour essayer de comprendre, et espérant même être en mesure d’établir LA formule mathématique de l’hypercroissance, Martin et Nicolas ont écouté pas moins de cinquante entreprises, en commençant par celles qui habitaient à station F, puis en se rendant en Californie, mais aussi en Israël et en Chine.

Il ne leur fallut que six mois pour restituer le fruit de leur enquête, disponible depuis le mois de janvier dernier aux éditions Diateino. Bonne nouvelle, « Accélération, dans les coulisses de l’hypercroissance », est plus proche de la bande dessinée que du pavé universitaire, grâce au coup de crayon du facilitateur graphique Nicolas Caruso.

En voici quelques morceaux (et illustrations) choisis.

La croissance a-t-elle des limites ?

En se penchant sur ce fascinant phénomène d’hypercroissance, Martin et Nicolas se sont au préalable posés la question suivante : « Peut-on croître éternellement ? »

Vous ne trouverez hélas pas la réponse ici, car les scientifiques ne s’accordent pas sur la question.

Mais ce que l’on sait en revanche, pour ce qui concerne le monde du travail, c’est que dans 87% des cas[1], une entreprise cesse de croître pour des raisons qui auraient pu être évitées :

  • au nombre des facteurs stratégiques qui ne pardonnent pas : l’irruption non anticipée d’un nouvel entrant sur le marché, un management de l’innovation dépassé…
  • côté facteurs organisationnels : la difficulté à recruter les bons talents, ou des dirigeants qui manquent d’agilité.

Hypercroissance vs accélération

Interrogeant les entrepreneurs sur leur interprétation et analyse des raisons de leur succès, Martin et Nicolas ont rapidement réalisé que les éléments de langage de ces derniers différaient des leurs. Martin et Nicolas parlaient « hypercroissance », mais on leur répondait toujours… « accélération ». Il apparait que ce terme était plus à même de refléter le parti d’un rythme de croissance soutenu… conduisant toutefois à un sentiment permanent de « déséquilibre avant » radical.

Ce fut là leur premier enseignement : quand on fait de la croissance à trois chiffres, la préoccupation n’est plus de faire de la croissance, mais de rester en vie ! Le message récurrent fut en substance : « Ok on fait 7000% de croissance, mais on n’est pas sûrs d’être encore là dans deux semaines… »

Règle mathématique ou heuristique ?

Et la formule mathématique de l’hypercroissance ? Hélas, quand bien même ces start-up, comme toutes les autres entreprises, obéissent aux modèles et fondamentaux économiques classiques, il ne fut pas possible à Nicolas et Martin de théoriser la recette miracle. Car il ressort de l’enquête qu’il n’y a guère de règle applicable, tant les contextes et concepts varient.

En revanche, il y a bien des dénominateurs communs, qui se situent d’ailleurs presque plus au plan sociologique qu’économique. Les voici.

Cinq récurrences chez les as de la croissance

L’écoute des cinquante répondants a permis à Nicolas et Martin de dégager cinq grandes préoccupations constantes (qui ne furent toutefois pas toujours énoncées dans le même ordre de priorité). Avec en arrière-plan, toujours : l’urgence, la crainte de mourir, l’obligation d’aller vite.

Car si l’hypercroissance peut faire rêver vue de l’extérieur, il s’avère qu’elle est tout sauf une joyeuse courbe ascendante. Tous les six mois en moyenne, les start-up subissent des coups d’arrêts aussi brutaux que dangereux : tout à coup il manque les RH, une technologie ou un financement et l’on frôle la catastrophe. La pression est, à l’instar des ambitions, considérable.

« UnE entrepreneur est quelqu’un qui saute d’une falaise et qui construit un avion dans sa chute. »
Reid Hoffman

Une vision radicale, une nécessité

La première récurrence est la détermination, l’ambition incommensurable des fondateurs. Sachant que la plupart des start-up ne se créent pas ex-nihilo, mais se greffent sur un marché déjà existant, le constat est sans ambiguïté : ces hommes/femmes-là ne viennent pas créer leur petite entreprise pour faire fortune et prendre du plaisir. Ils viennent casser un marché existant, réinventer un concept, le performer et balayer l’ancien.

Un état d’esprit qui n’est certes pas donné à tout le monde et qui implique que ces entrepreneurs ne vivent que pour faire aboutir leur projet et atteindre l’objectif fixé. C’est ce que Martin et Nicolas ont appelé l’ultra focalisation : et sans elle, pas d’hypercroissance.

RH, une exigence extrême : les bons people

Une telle démarche se traduit bien entendu dans les RH et le choix des profils.

La préoccupation du recruteur, dont l’entreprise est continuellement en situation de bascule avant, est de s’entourer des talents pourvus de suffisamment d’enthousiasme et de détermination pour travailler en mode blitzscaling. Les conditions de travail sont extrêmes, en raison de l’engagement inconditionnel qui est attendu : il est normal et habituel de s’écrire à minuit, et la notion de stricte relation professionnelle (vs vie privée) n’a pas cours.

Comme l’a confié l’un des répondants : « je veux des missionnaires, pas des mercenaires ». Les processus de recrutement sont donc longs et exigeants, notamment parce que l’implication et la compatibilité du candidat avec la start-up sont des critères vitaux.

Une culture forte sinon rien

De telles conditions de travail, l’ambition de la tâche et cette urgence permanente, impliquent nécessairement un fort sentiment d’appartenance. Selon Martin et Nicolas, lorsque l’on fait de la croissance dans de telles proportions, ce n’est pas tant l’organisation ou les process, qui permettent de rester dans la course, mais plutôt la culture commune.

En la matière, les usages varient et le curseur se déplace selon les pays : chez Google, l’exercice fut poussé à son paroxysme en ne recrutant qu’au sein de la même école (au risque d’asphyxier toute créativité) ; en Israël, la taille du pays, son identité forte, sa situation géopolitique et le fait que tout individu passe par l’étape du service militaire font que l’engagement et la réactivité sont des standards, etc.

Des KPIs pour tout : une hyper focalisation

Pour croître façon exponentielle, pas de mystère : il faut en permanence s’assurer que cela continue de grimper. Et au premier coup de ralentissement, on coupe les machines, on se demande ce qui ne va pas et on agit.

La relation aux indicateurs est donc quasi viscérale : tous les entrepreneurs sans exception ont affirmé être connectés en permanence (et peu importe le contexte, même personnel) afin de s’assurer que les taux de transformations sont bons.

Dans cette perspective, le challenge est alors d’identifier le bon indicateur, le single unit metric, qui permettra à l’entreprise de monétiser. Sur le plan RH, cela conduit fréquemment à recourir aux OKR (Objectives & key results), afin de suivre l’avancement des objectifs qualitatifs des collaborateurs. Objectifs qualitatifs qui doivent se traduire par des résultats quantitatifs volontairement ambitieux, afin d’amener les équipes à se dépasser… Autant dire que tout le monde n’est pas taillé pour jouer le jeu.

Beaucoup d’argent : walking dead

Étonnement, la question a peu été évoquée par les répondants. Martin et Nicolas ont dégagé deux cas de figure.

« Personne n’a présenté l’argent comme la clef du développement. »
Martin Minvielle & Nicolas Lauquin

  • Ceux qui, ayant gagné de l’argent dès le premier jour, se sont donnés les moyens de scaler (comprenez : adapter son business model/son schéma d’entreprise à l’augmentation foudroyante de son volume d’activité). Une urgence qui conduit à une gestion ultra précise et murement réfléchie de la moindre dépense, du type : « Tu veux une table de ping-pong, pourquoi pas. Mais dis-moi d’abord ce que cela va rapporter à l’entreprise et comment je vais le mesurer. »
  • Et ceux qui ont décidé dès le départ d’arriver premier. Pour ce faire, ils misent tout sur la croissance et les levées de fonds, le souci de la marge étant relégué au second plan. Grâce à leur capacité à pratiquer le blitzscaling, ces entreprises atteignent des taux de croissance astronomiques et parviennent à survivre. Mais la question qui se pose alors est « combien de temps cela tient-il si on enlève la perfusion ? » C’est ce que Nicolas et Martin ont baptisé l’indicateur walking dead(et finalement, il s’agit là du véritable indicateur de performance d’une start-up).

Dans les deux cas, il arrive un jour où la start-up a tant grossi et recruté, que la bascule s’opère fatalement, ce qui constitue souvent un choc culturel : elle ne peut plus faire l’économie d’un responsable des RH, doit établir des grilles salariales et cesser d’être border line avec la réglementation. Bref, elle se retrouve avec des problèmes de grands…

Les vignerons et les vendangeurs : deux sources d’inspiration complémentaires

Les grands groupes justement, Martin et Nicolas les ont aussi interrogés. On comprend bien à présent qu’une start-up, avec ses codes et modes de fonctionnement propres, puisse être en mesure de à scaler pour continuer à croître de façon exponentielle.

Mais qu’en est-il des legacy, tributaires d’actifs parfois considérables et autres contraintes liées à leur nombre d’employés ou leurs process ? Nicolas et Martin se sont attachés à rencontrer des groupes aux attributs semblables à ceux des start-up : il ressort que ce n’est pas parce qu’on est gros, que l’on ne peut pas être agile ou curieux de ce qui se fait ailleurs…

Deux exemples :

  • Airbus a mis en place des fablabs à Nantes (voir à ce sujet Ma manufacture) afin de réfléchir à la façon d’usiner certaines de ses pièces très rapidement, ou à moindre coût.
  • Total a réussi à pivoter sur son modèle économique en trouvant le moyen de transformer l’une de ses raffineries à Dunkerque en un Centre de formation aux métiers de la chimie: les anciens plateaux industriels de production y ont été reconvertis en installations pédagogiques grandeur nature, dotées donc de « vrais » plateaux techniques, qui restent alimentés en énergies et fluides. Un bel exemple de reconversion d’une legacy qui démontre que pivoter n’est pas que l’apanage des start-up.

Une posture d’explorateur, que Nicolas et Martin ont imagée en la comparant à celle d’un vigneron, dont la démarche consisterait à construire, valoriser et veiller à faire fructifier durablement un actif. L’ambition étant alors de stabiliser l’entreprise et de garantir la pérennité de son modèle.

Inversement, les vendangeurs, décrits dans les paragraphes précédents, sont ceux qui se pluggent sur une étape d’une chaine de valeur existante, puis pivotent. Pour y parvenir, ces derniers adoptent souvent des stratégies d’acquisition : en dehors des build up, afin d’absorber les acteurs à même de les aider à passer les paliers critiques, elles peuvent opter pour le acqui hiring ou le spin off, stratégies notamment mises en place par Blablacar.

Ces stratégies sont propres aux vignerons pour dépasser des sources de blocage, notamment le manque de compétences, et amener la croissance vers d’autres seuils. En conclusion vignerons et vendangeurs ne doivent pas être opposés, ils ont des modalités de croissance complémentaires qui peuvent être mobilisés à des stades de développement différents.

Pour conclure, il apparait que les vignerons comme les vendangeurs devraient être observés de près, car chacun recèle une part de la recette, non pas de l’hypercroissance, mais d’une croissance durable et contrôlée :

– les premiers savent faire durer leurs actifs, fonctionner malgré les contraintes inhérentes à leur taille, ou faire de la croissance sur des activités traditionnelles,

– les seconds ont compris le pouvoir de l’hyperfocalisation : celle de leur ambition et de leur détermination à devenir référents sur leur marché ; celle de l’objectif commun qu’ils sont capables de porter ; et celle et de leurs KPIs.

En mai dernier, Nicolas et Martin étaient chez Wojo pour présenter leur ouvrage : pour ceux qui pensent que perdre une heure à regarder une vidéo a toutes les chances de leur faire gagner un temps précieux, c’est par ici !

À propos de…

Nicolas Minvielle :

Docteur en économie, Nicolas est responsable du MS « Marketing design et création » d’Audencia Business School. Auteur d’une dizaine d’ouvrages sur le design et l’innovation, il est cofondateur de Making Tomorrow.

Martin Lauquin :

Serial entrepreneur, Martin promeut l’hybridation des approches managériales et des approches créatives pour aider les décideurs à penser à contre-courant. Creative Strategist et cofondateur du collectif Making Tomorrow, Martin est conférencier dans différentes écoles de commerce et de design.

Un article rédigé par Laëtitia Cognie,
pour Wojo

[1] – Source : étude Stall Points, qui énonce que toutes les organisations, même les licornes, voient un jour leur croissance caler.

Au fait, chez Wojo on ne fait pas qu’écrire !

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