Chronique Lignes d’horizons, épisode 4* : chaque mois l’écrivain David Brunat vous propose un regard décalé, un pas de côté, une réflexion buissonnière autour du thème du coworking et du travail contemporain. Prenez le temps d’un détour original où l’histoire, la sociologie, l’ethnologie, le monde de l’art et d’autres disciplines vous apportent des éclairages inattendus et inspirants sur le monde qui vous entoure… En bonus à la fin de cet article, une belle idée de cadeau pour Noël.


Le Français Auguste Escoffier (1846-1935), inventeur de la pêche Melba et d’innombrables recettes, est l’un des plus grands chefs de l’histoire de la gastronomie mondiale. Tout au long de son exceptionnelle carrière qui l’a conduit à régner sur les cuisines de plusieurs palaces français, monégasques ou londoniens, il s’est attaché à perfectionner les bases de l’art culinaire et à sublimer les savoir-faire des professionnels de la cuisine. Une ambition très moderne et inséparable d’une pensée du partage. Cooking ? Coworking aux fourneaux !

La cuisine, art du partage et modèle d’organisation

Vous arrive-t-il de déjeuner ou de dîner seul(e) au restaurant ? Rien de plus triste… Vite, des convives ! La bonne chère n’est pas faite pour être dégustée en solo. De même, cuisiner pour soi peut être plaisant, mais le faire pour les autres procure un plaisir incomparable. L’art de la table est par excellence social et « à partager » ; c’est un art rempli de saveurs et de surprises à savourer à plusieurs.

Paul Bocuse disait qu’au départ de toute bonne cuisine il y a un acte d’amitié ou d’amour. Donc un rapport aux autres. Ce qu’Escoffier avait compris et mis en pratique longtemps avant le chef lyonnais, en s’imposant notamment comme l’inventeur de la brigade de cuisine. Revue des troupes.

Orchestre gastronomique   

La brigade ? Un terme emprunté à l’organisation militaire ou policière. Il connaîtra une grande popularité du vivant d’Escoffier grâce aux fameuses « brigades du Tigre » de Clémenceau. Mais ici, rien de martial. La brigade a fait son apparition en cuisine avec ce chef dans le but d’optimiser le service et de répondre à une demande croissante, parfois plusieurs centaines de couverts pour le même repas. 

C’est au début des années 1890, alors qu’il officie au Savoy, le célèbre palace londonien, qu’Escoffier imagine cette organisation inédite qui va révolutionner le fonctionnement des grandes tables. Et qui n’a jamais été remis en cause depuis.

Comme dans un orchestre, chacun joue sa partie au service d’une œuvre d’ensemble dirigée par le chef. Travail d’équipe par excellence, où une grande rigueur méthodique va de pair avec la plus grande créativité dans la composition des menus.

Escoffier est un contemporain de l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor, le père de l’Organisation Scientifique du Travail, autrement dit la taylorisation. Appliqué à l’univers culinaire, ce système va « permettre au chef de prendre la tête d’une véritable armée de cuisiniers avec ses officiers, ses sous-officiers, ses hommes du rang et ses cadets. Il en sera comme le général, aux ordres duquel tous répondront d’une seule voix et d’un même élan, qu’ils soient chef saucier, chef entremétier, chef garde-manger, chef rôtisseur ou encore simple commis ou marmiton »[1]. Une mécanique parfaitement huilée.

Le goût du sur-mesure

Cette organisation semble aux antipodes du modèle du coworking parce qu’elle repose sur une forte hiérarchie et une stricte division des tâches. Mais elle est en fait très éloignée du taylorisme industriel.

Taylor ambitionne avant tout des gains de productivité et des économies d’échelle, alors que la rationalisation instaurée dans ses cuisines par Escoffier n’est nullement motivée par le souhait de tailler dans les effectifs. Surtout, il ne s’agit pas de fabriquer des produits standardisés mais, tout au contraire, des créations personnalisées, adaptées au goût de chaque client et à ses préférences en matière de produits, de sauces, de cuisson… Un objectif très moderne, aux antipodes d’une cuisine banalisée, aseptisée, normalisée :

« Ainsi naît une cuisine organisée au cordeau pour des plats sur-mesure, avec un calcul des gestes et des temps imaginé pour libérer les énergies et la créativité des cuisiniers. Plus que celui de la grande fabrique industrielle, le modèle dont se réclame Escoffier est sans doute à rechercher du côté des ateliers d’artistes de la Renaissance, où les élèves se chargeaient d’une part du travail, en fonction de leurs talents et de leur niveau d’apprentissage, sous la direction du maître qui concevait et parachevait l’œuvre »[2].

À lire aussi : Histoire du coworking : la bottega

Le grand chef Thierry Marx, ancien président de l’Association internationale des Disciples d’Escoffier qui compte plus de 30 000 membres à travers le monde, salue le caractère précurseur et indépassable de cette démarche. Comme d’autres maîtres des fourneaux, il s’en est inspiré pour faire de chaque plat une construction dont les éléments sont assemblés au gré d’étapes de fabrication soigneusement agencées. Le menu devient une véritable composition, une partition gourmande qui se joue dans l’ordre des plats, le rythme des contrastes, la recherche des équilibres gustatifs…

Le bonheur est dans l’assiette

Tout cela peut paraître étranger à l’ordinaire de nos repas, où nous ne mettons pas les petits plats dans les grands. Mais qu’on se restaure sous les dorures des palaces, au zinc des bistrots ou au bar d’un site Wojo, se sustenter doit être un plaisir. Plaisir d’une assiette partagée entre amis ou collègues de travail. Plaisir d’un produit du terroir subtilement travaillé. Plaisir d’une pause alimentaire à haute teneur conviviale.

« Bonne cuisine et bon vin, c’est le paradis sur terre », assurait un certain promoteur de la poule au pot nommé Henri IV. Trois siècles plus tard, Escoffier déclarait : « La bonne cuisine est la base du vrai bonheur ». Un bonheur qu’il ne souhaitait pas voir réservé aux privilégiés, ce pour quoi il avait coutume de faire distribuer les surplus de ses cuisines aux plus pauvres de ses contemporains et de les inviter ainsi aux festins de l’existence. 

Excellentes fêtes à toutes et à tous, et beaux moments de partages gourmands à tous !


David Brunat est écrivain, auteur pour l’entreprise et conseiller en communication et en stratégie.

Derniers ouvrages parus :

Auguste Escoffier. La vie savoureuse du roi des cuisiniers, Elodie Polo-Ackermann et David Brunat, Flammarion, 2019

ENA Circus, David Brunat, éditions du Cerf, 2018

Retrouvez les autres épisodes de la série :



[1] Auguste Escoffier. La vie savoureuse du roi des cuisiniers, Elodie Polo-Ackermann et David Brunat, Flammarion, 2019. [2] Ibidem.

Au fait, chez Wojo on ne fait pas qu’écrire !

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