« Le véhicule autonome, c’est pour 2020 », « un prototype de voiture volante sera dévoilé dès 2019 », « une flotte autonome annoncée à Pittsburg… », tous, nous entendons très régulièrement parler des progrès (et des échecs) de la voiture de demain. Les enjeux sont tels et les effets d’annonces, si bien orchestrés, que nous ne savons guère qui croire et encore moins ce qu’il faut en penser.

Look Sharp et Wojo ont donc invité sept experts[1] (en économie, construction automobile, assurance, recherche appliquée…) pour nous éclairer. Cette table ronde, animée par Jean-Michel Normand[2] avait pour thème particulier : « Véhicule autonome et ville de demain. Technologie, business et société : quels enjeux ? ».
Cela se passait mardi 14 décembre 2016 chez Wojo, et en voici les grandes lignes (nous vous invitons vivement à visionner la conférence[3]).

Sachez tout d’abord que l’on peut s’appeler Toulemonde et avoir des relations : cet article a pu être rédigé depuis une voiture autonome prénommée Jules, à bord de laquelle votre reporter a pu suivre la conférence en direct…

Allez, en voiture tout le monde ! 

   

Olivier Babeau,

Economiste, professeur des sciences de gestion, spécialiste des transitions numériques,

Université de Bordeaux

 

En préambule, Olivier Babeau nous met en garde : bien malin celui qui pourrait prévoir la mise sur le marché du véhicule autonome (VA), n’en déplaise à certains « as de la com’ » :
– tout d’abord, les obstacles d’ordre technologiques sont loin d’être tous levés,
– ensuite, il est bien difficile de savoir si Madame Toulemonde est prête, non seulement à bouleverser ses habitudes, mais aussi à faire confiance à une machine,
– et enfin : comment nos responsables politiques porteront-ils cette innovation, qui ne manque pas de soulever nombre de questions règlementaires, éthiques, écologiques…

« Bonsoir, je m’appelle Jules. Puis-je me mettre en route ? », « Non attends, on fait encore quelques photos », répondis-je.
« J’ai prévu un itinéraire touristique, mais bien-sûr, si vous souhaitiez vous rendre quelque part en particulier, je me ferais un plaisir de vous y conduire. Je peux répondre à toutes vos questions sur les monuments parisiens que vous apercevrez, les restaurants, les boutique, etc. Vous pouvez aussi me demander comment je fonctionne, et interrompre notre course à tout moment : à condition bien sûr de me laisser le temps de me garer en toute sécurité ! » …

Super, mais mettez-vous à ma place, la première question qui me vint à l’esprit fut :

Le véhicule autonome est-il au point ?

   

 

Vincent Abadie,

Responsable Innovation et Technologies avancées, Aide à la Conduite, Maître-expert,

Groupe PSA 

 

Tout d’abord : la prochaine fois que vous lirez un article sur « l’imminence » de l’arrivée de la voiture autonome en ville, prenez de la hauteur ! Sachez, explique Vincent Abadie, que le degré d’autonomie d’un VA se décline en six niveaux :
– les trois premiers (de zéro à deux) sont de l’ordre de l’aide à la conduite (telle que le régulateur de vitesse, l’assistance au stationnement etc.) et nous les avons déjà adoptés,
– niveau trois : la voiture conduit seule, mais le conducteur doit à tout moment pouvoir reprendre le contrôle,
– niveau cinq : c’est un véhicule sans volant ni pédales (autrement dit dans laquelle il est exclu que l’un des passagers rectifie les décisions de l’algorithme).
Ainsi, ce dont nous entendons parler le plus souvent, ce sont des véhicules de niveau trois, avec un chauffeur prêt à reprendre la main à tout moment.

Un chat noir traverse la route : j’aperçois un bref instant ses yeux brillants puis plus rien. « Attention ! Tu l’as vu ? » m’écriai-je. Jules ralentit et balaye la nuit avec ses phares mobiles pour me montrer le chat perché sur un muret : je suis rassurée. « Mais tu l’avais vu ? » insistè-je. « Évidement, même une machine comme moi sait bien que la nuit les chats sont gris, même sans ralentir, je n’aurais pas heurté le chat. » Bien-sûr que Jules y voit bien mieux que moi, et pour l’humour, c’est quel niveau d’autonomie ?

Les constructeurs automobile (européens et outre-Atlantique) en sont probablement tous au même point. Chez PSA par exemple, ce sont quatre véhicules de niveau trois, capables de rouler 100 heures d’affilée sur autoroute, sans que le chauffeur ait à intervenir, un succès, donc. Mais pour ce qui est de rouler :
– sur une voie à double sens,
– en ville avec des panneaux et signalisation des ruelles, des obstacles…
– parmi des piétons,
… c’est autre chose. Ainsi, complète Christian Laugier, avant même de songer à l’imprévisibilité d’un être vivant, la perception de l’environnement et sa compréhension (en mouvement, ou non) sont déjà des algorithmes extrêmement complexes à élaborer.

   

Christian Laugier,

Directeur de recherche au sein de l’équipe Chroma (Cooperative & human-aware robot navigation in dynamic environments),

Inria

 

Mais l’une des difficultés supplémentaires et non des moindres, sera celle de la transition. La cohabitation entre :
– nos véhicules traditionnels (plus ou moins connectés), pilotés par des conducteurs plus ou moins alertes et vaguement rationnels,
– et les VA (de niveau trois à cinq).
Car entre alors en jeu la notion de prédiction, qui doit quant à elle trouver sa place entre perfection et modération, afin de na pas déclencher d’alarmes intempestives. Considérations qui nous amènent logiquement à nous poser la question de l’éthique de la décision… S’il est sujet qui risque de faire couler de l’encre, c’est bien celui-ci.

D’où la question suivante… 

Le grand public est-il prêt ?

« Tout va bien ? Vous n’avez pas la nausée ? » me demande Jules. « Non, pourquoi ? », « J’ai vu dans votre dossier médical que vous étiez sujette au mal des transport, j’ai adapté ma conduite », « Tu es programmé pour consulter l’état de santé de tes passagers ? », « Bien sûr, si je dois éviter un obstacle, il peut être important de savoir que j’ai une femme enceinte à bord, par exemple… ».

Aujourd’hui deux personnes interrogées sur trois se disent réticentes à l’idée de monter à bord d’un VA. Pourtant, 90% des accidents sont d’origine humaine : nous aurions donc tout à gagner à confier le volant à des machines… qu’importe, notre instinct de survie n’a pas évolué aussi vite que notre génie créatif !
Les constructeurs de VA en lice le savent : aucun accident se sera toléré par le grand public. C’est l’une des raisons pour laquelle les normes de fiabilité exigées sont celles de l’aéronautique (une erreur pour un milliard d’heures de fonctionnement : des années de test avant de se lancer, donc). Mais ceci sera-t-il suffisant pour nous rassurer, notamment en termes de prise de décision et d’éthique ?

Le débat sur l’intelligence artificielle est tout près, et avec lui la question de la place des machines dans notre société. Comme pour toute innovation, certains l’attendent avec impatience, d’autres en ont peur.

« Je viens de capter le téléphone de Pierre sur notre itinéraire : voulez-vous que nous lui proposions de passer le chercher ? », « Mais oui, super » répondis-je estomaquée. Jules est flippant, mais il n’a de cesse de me séduire ; je pourrais bien ne plus pouvoir m’en passer.

Je réalise tout à coup que parce qu’il me parle régulièrement, j’en oublie que « personne » ne conduit… mon cœur s’emballe : « Jules, tu vois, là que je ne me sens pas bien ? ». « Oui, mes capteurs m’indiquent ton stress. Ton état de santé n’est pas inquiétant, mais j’ai quitté les quais, pour pouvoir me garer si tu le souhaites.»
« Non, ça ira, roule encore.» Voilà c’est fichu : j’aime Jules, je le veux pour moi toute seule.

Autre enjeu, plus léger celui-là : nous sommes nombreux à « aimer » notre voiture, à « aimer » conduire… Or, même si certains constructeurs affirment vouloir proposer rapidement un VA à la portée du portefeuille moyen, il y a fort à parier que les premières générations ne seront accessibles que sur le mode partagé.
Car en admettant que ces petits bijoux d’innovation soient à notre portée, il n’en restera pas moins que la moindre de leurs pièces vaudra des fortunes. Déjà aujourd’hui, l’électronique fait s’envoler le coût des réparations de nos voitures accidentées. Imaginez alors le prix d’un parechoc de véhicule autonome.

Exit, donc le VA privé pour un long moment : mais sommes-nous suffisamment mâtures et détachés pour adopter ce nouvel usage, que serait la « propriété partagée » ?

   

 

Didier Marginède

Senior vice-président, Blue Solutions,

Bolloré

Pourtant, les chiffres de Didier Marginède donnent à réfléchir : nous n’utilisons notre voiture personnelle qu’1 h/j/an (en moyenne), une voiture partagée (à Paris) roule 6 à 7 heures par jour ! Imaginez alors tous les services qu’une voiture partagée ET autonome, pourrait rendre en une journée ? Nous ne parlerons pas ici de la possibilité de travailler en voiture, car seulement 4% des personnes interrogées profiteraient du VA pour y prendre de l’avance sur leur journée de travail…
En revanche, des personnes habitant en zone périurbaine pourraient imaginer, que M. Rochard, maçon, se rende sur son chantier, que Mme Toulemonde dépose ensuite ses enfants à l’école, après quoi Melle Picque, l’infirmière, fera sa tournée du matin et Huguette, la doyenne du village, aura son déjeuner livré comme d’habitude à 13h00… De quoi redonner la cote à plus d’un hameau, bousculer les échelles de valeur de l’immobilier, bouleverser les usages, les modes de travail et même : faire bouger les lignes de la notion de propriété (foncière ou autres)… prédit Emmanuel François.

   

 

Emmanuel François,

Président,

Smart building alliance for Smart cities

Mais la question qui vient alors naturellement à l’esprit est : « qui est responsable en cas d’accident ? » Édouard Binet rappelle qu’en France, c’est le véhicule accidenté (et donc le titulaire de sa carte grise) qui importe. De ce point de vue a législation est donc prête à accueillir la voiture autonome.
En revanche, il y a fort à parier que les recherches en responsabilité ont de beaux jours devant elles : qui sera le responsable de la mauvaise décision d’un VA ? Et si c’est une défaillance technique ? Car entreront en jeu : le concepteur de l’algorithme, celui qui l’a certifié (si un système de certifications est mis en place), celui qui a fabriqué les pièces, les a assemblées etc.
On l’aura compris, le chemin à parcourir est encore long, alors que pourtant la conduite assistée réduit clairement le degré de gravité des accidents : la supériorité des machines en termes de sécurité au volant ne fait donc aucun doute.

   

Édouard Binet,

Directeur technique Assurance Biens et Responsabilités,

Allianz

Et les pouvoirs publics, dans tout ça ?

Des villes comme Lyon ou Issy-les-Moulineaux sont décidées à se faire les ambassadrices du véhicule autonome au service des usagers. De plus en plus d’initiatives (à l’instar du consortium So Mobility[4] à Issy-les-Moulineaux) se développent, afin de proposer des solutions à même de faciliter les déplacements de personnes, sans pour autant négliger :
– l’environnement,
– les besoins des professionnels.
Ainsi, Éric Legale nous détaille comment les politiques de grands aménagements urbains sont l’occasion de prévoir des axes dédiés à la circulation des VA : de quoi sensibiliser le public en douceur.
Ainsi à Issy-les-Moulineaux, un pari astucieux a été d’imaginer la prise en charge des usagers à bord de navettes autonomes, afin de leur permettre d’éviter les engorgements que provoqueront inévitablement les chantiers du Grand Paris express. Et l’on se prend à rêver de voies sur berges silencieuses, non polluées, mais néanmoins rendues à la circulation…

 

Éric Legale,

Directeur général d’Issy Média,

Société d’économie mixte en charge de la communication et des technologies de l’information pour la ville d’Issy-les-Moulineaux

Non polluées, car il faut bien réaliser que la voiture autonome est forcément électrique : évident, direz-vous ? Certes, mais avez-vous réfléchi un instant à ce que cela sous-entend en termes de production d’électricité et surtout de gestion des pics de consommation. Si nous aspirons tous à voir les moteurs à explosion quitter le paysage, encore faut-il en accepter et organiser la contrepartie… L’on comprend bien ici, que tout devra s’organiser en parallèle d’une nouvelle politique énergétique encore à définir et à mettre en œuvre, à la fois globale, délocalisée et planifiée.

Songez ensuite aux tensions en jeu : une voiture en autopartage assure les besoins de neuf voitures privées. À l’instar de services déjà bien ancrés dans nos paysages, comme l’autopartage électrique ou les services de voitures de transport avec chauffeur (VTC), qui révolutionnent déjà les usages en termes de propriété automobile dans certaines de nos métropoles européennes et aux États-Unis, le VA risque de faire grincer des dents. Il y a les constructeurs bien sûr, mais aussi les transports en commun, et toutes les professions liées au transport en général : tous devront jouer de créativité et se mettre toujours plus au service de leurs usagers/clients, s’ils veulent survivre. Finalement Madame Toulemonde, elle, a tout à y gagner.

« Jules, tu peux nous trouver un endroit où acheter une bouteille de champagne ? On peut boire et manger, à ton bord ? » « Oui, bien sûr : vous avez des tablettes escamotables, mais je dois vous avertir qu’il vous en coûtera 30 crédits, car je suis obligé de prévoir de rentrer chez moi pour un toilettage complet dès que vous m’aurez restitué. », « Ok, valide. Mais au fait : où habites-tu ? », « Mon atelier de rattachement se trouve à très exactement 34 km au sudi. », « Vous êtes nombreux dans un atelier ? » « Assez, oui : 300, sans parler de tous les humains qui veillent sur nous 24/7. »

Aujourd’hui jusqu’à 50% de la superficie d’une ville peuvent être accaparés par les besoins automobiles (routes, stationnement, parking…) ; 70% pourraient en être restitués aux piétons si l’on généralisait la voiture partagée (celle que nous connaissons déjà). Imaginons alors la ville à l’ère du VA, une ville où il ne serait plus nécessaire d’avoir de places de stationnement : nos paysages urbains se trouveraient révolutionnés !
Mais que faire alors, de tout ce foncier libéré en ville, et d’un probable engouement pour « le retour à la nature », puisque rien ne nous empêchera plus de vivre à la campagne (pas trop loin quand même, car l’autonomie et le ravitaillement sont un autre sujet) ? Les transferts de valeurs de l’immobilier sont extrêmement complexes à prévoir et risquent, là aussi d’en crisper plus d’un… L’intérêt général saura-t-il s’imposer ?

Conclusion :

Heureusement ou malheureusement, le VA n’est pas prêt : nous avons donc tout le temps de penser aux bouleversements qui l’accompagneront… et de nous habituer à lui en mode « transport public », grâce à des politiques locales pionnières. Il y a fort à parier toutefois que les services qu’ils nous rendra ne mettront pas longtemps à nous embarquer 😉

Que pense Madame Toulemonde de tout ceci ? Eh bien, de façon assez peu originale, c’est une grande admiratrice de Jules Verne… pour son imaginaire visionnaire bien sûr, mais surtout pour ce qu’il incarne : une époque où le progrès technologique était toujours une bonne nouvelle, où l’on était certain que le monde de nos enfants serait plus sûr, plus équitable, plus confortable.
Pourquoi ne pas imaginer des villes intelligentes qui ressemblent à des jardins, des villages qui reprennent vie, des enfants qui n’ont plus besoin de regarder des deux côtés avant de traverser, des parents qui dorment sur leurs deux oreilles, pendant que leurs ados filent en boîte de nuit…
Et oui, parions que les emplois créés seront équivalents à ceux détruits, parce nous sommes astucieux, que nous saurons gérer les problématiques énergétiques parce qu’avec ou sans la VA, il faut y venir, et qu’un jour, l’idée d’embouteillage et d’air rempli de particules nous paraîtra tout aussi épouvantable et inacceptable que les rues de Paris avant le tout à l’égout.

Avec nos remerciements chaleureux à :

  • Look Sharp, agence relations presse pour Wojo
  • Jean-Michel Normand, journaliste au Monde
  • Olivier Babeau, Economiste, Professeur des sciences de gestion, Université de Bordeaux et spécialiste des transitions numériques
  • Vincent Abadie, Responsable Innovation et Technologies avancées, Aide à la Conduite, Maître-expert, Groupe PSA
  • Édouard Binet, Directeur technique Assurance Biens et Responsabilités, Allianz
  • Didier Marginèdes, Senior vice-président, Blue Solutions, Bolloré
  • Emmanuel François, Président, Smart Building Alliance for Smart Cities
  • Christian Laugier, Directeur de recherche au sein de l’équipe Chroma (Cooperative & human-aware robot navigation in dynamic environments), Inria
  • Éric Legale, Directeur général d’Issy Média

[1] – Étaient présents :

  • Olivier Babeau, Economiste, Professeur des sciences de gestion, Université de Bordeaux et spécialiste des transitions numériques
  • Vincent Abadie, Responsable Innovation et Technologies avancées, Aide à la Conduite, Maître-expert, Groupe PSA
  • Édouard Binet, Directeur technique Assurance Biens et Responsabilités, Allianz
  • Didier Marginèdes, Senior vice-président, Blue Solutions, Bolloré
  • Emmanuel François, Président, Smart Building Alliance for Smart Cities
  • Christian Laugier, Directeur de recherche au sein de l’équipe Chroma (Cooperative & human-aware robot navigation in dynamic environments), Inria
  • Éric Legale, Directeur général d’Issy Média

[2] – journaliste au Monde

[3] – Retrouvez la vidéo complète sur youtube :

[4] – So mobility : http://www.issy.com/lancement-somobility

Au fait, chez Wojo on ne fait pas qu’écrire !

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