À l’occasion des Days for Impact organisés par Wojo, des journées consacrées au changement environnemental et sociétal, Alix Raspail, Design Manager chez Wojo, s’est penchée sur cette question aux côtés de Philippe Tissot, co-fondateur de Komut Studio, et de Mahaut de Châlus, B2B Manager chez Selency, lors d’une table reonde organisée au Wojo Montparnasse Gaîté. Ensemble, ils évoquent les opportunités du mobilier de bureau d’occasion et les innovations zéro carbone.
On fait les présentations ?
À droite, Alix, Design Manager chez Wojo, s’occupe de tous les standards d’architecture d’intérieur et de design des espaces de travail opérés par la marque. Son objectif ? S’axer toujours plus sur les thématiques RSE dans un monde du travail en changement constant.
Au centre, Mahaut, Responsable de l’agence déco chez Selency. Ce service dédié aux professionnels accompagne les clients dans la réalisation de projets (hôtels, restaurants, bureaux) avec du mobilier et de la décoration de seconde main chinée par une équipe de décorateurs parmi les 500 000 références disponibles sur la plateforme Selency.
À gauche, Philippe, co-créateur il y a trois ans de Komut Studio. Komut parce que son studio de design a déjà commuté dans un monde décarboné, en proposant une solution décarbonée à base de matière thermofusibles issues de déchets plastiques. On les transforme en les chauffant afin de récupérer des plaques, pour fabriquer ensuite de nouveaux meubles et objets (luminaires, décoration, etc.). Komut réussit cela avec quatre robots d’impression 3D grand format, eux-mêmes récupérés de l’industrie automobile 😊.
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Le bureau flexible
est-il fait pour votre entreprise ?
Pourquoi s’orienter vers le mobilier durable ?
Alix : Qu’est-ce qui vous a poussés l’un et l’autre à aller vers le monde du « mobilier durable », l’un via le mobilier de bureau d’occasion, l’autre via l’innovation ?
Philippe : En créant notre société il y a trois ans, c’était une évidence de vouloir un bilan carbone neutre, ou au moins très bas. Le mobilier est un secteur très polluant, on voulait atteindre la neutralité sans acheter des arbres en Amazonie… On a donc choisi de faire du mobilier monomatière, sans hybridation. En fin de vie, le mobilier peut être broyé et réimprimé sous une nouvelle forme, et ce dès le lendemain.
Mahaut : Charlotte Cadé, la fondatrice de Selency, a accompagné ses parents dans des brocantes durant toute son enfance. Avec la volonté d’inciter à une consommation plus durable, elle a choisi de digitaliser la brocante. Ce qui m’a poussée à la rejoindre et à monter ce service de mobilier de bureau d’occasion pour les professionnels, c’est qu’on a évalué qu’on économise 80 % d’émissions de carbone en revalorisant l’existant plutôt qu’en produisant du neuf. Selency favorise de surcroît sur une consommation plutôt locale. Toutes nos pièces viennent de France ou de pays très proches, et l’agence déco chine en priorité en Île-de-France, au plus près de nos clients, pour avoir l’impact le plus bas possible.
Bas carbone et seconde main, comment mieux valoriser ces concepts ?
Alix : Quand on parle de seconde main, de revalorisation de déchets, de seconde vie des produits, on constate que souvent, cela ne donne pas très envie… Que pourriez-vous répondre à ces personnes encore sceptiques ? Comment marier design, durabilité et désirabilité ?
Mahaut : Il suffit de regarder quelques-uns des projets menés avec l’agence déco de Selency pour constater que l’on peut créer des environnements d’hôtels, de restaurants, de bureaux, ultra chaleureux, avec beaucoup de cachet, d’originalité, de personnalité, tout ça en seconde main. Nos décoratrices dédiées à chaque projet sont là pour apporter une touche unique qui répond aux attentes de chaque client !
Philippe : Il est certain que le design et l’émotion qu’il véhicule doit continuer à primer. C’est pour cela que Komut a choisi la 3D, qui nous donne une liberté de formes sans contraintes de moules. On peut ainsi proposer du sur-mesure, ou a minima de la customisation, à nos clients qui ont envie de se démarquer de leurs concurrents.
Le mobilier plus responsable est-il plus cher ?
Alix : On entend aussi souvent que mobilier durable égale prix plus élevé. Info ou intox ?
Mahaut : Chez Selency, on constate plutôt l’inverse 😊. Beaucoup de gens associent seconde main et grandes économies, ce qui n’est pas forcément vrai. Sur le site, nous avons 500 000 références qui vont du vase à 3 euros au canapé de designer à 50 000 euros. Le champ des possibles est immense ! Selon le budget du client, on adapte les propositions de nos décoratrices. S’ils nous annoncent d’entrée de jeu qu’ils veulent du mobilier de designer dans un budget restreint, on préfèrera se retirer du projet, on sait que ce ne sera pas possible.
Philippe : Normalement, le budget est connu depuis le début du projet, donc on adapte la proposition. Komut est dans une gamme plutôt médian supérieur. Si le budget a été accepté, l’ensemble des parties prenantes doit rester fermes. Quand le maître d’ouvrage a choisi un architecte pour réaliser un projet mettant en avant des valeurs environnementales, il ne doit pas se défausser ensuite.
Mahaut : Pour Selency, la partie complexe au niveau des coûts est la logistique. Nous n’avons pas les mêmes contraintes qu’un éditeur de mobilier classique. Les pièces de mobilier de bureau d’occasion et de décoration sont chez des brocanteurs ou antiquaires partout en France : nous devons les récupérer, les stocker dans notre espace partenaires et les livrer chez les clients une fois qu’on a tout réuni. Cela a un coût plus important qu’une logistique de sortie d’usine, qu’il faut pouvoir justifier, mais les clients sont globalement compréhensifs. Pour éviter une addition carbone trop élevée, on mutualise le trajet de ces pièces avec d’autres transports. C’est parfois un peu plus long, mais c’est optimisé !
Alix : Je suis pour ma part dans la position de la maîtrise d’ouvrage, et je trouve que c’est mon rôle de sensibiliser ma direction, de leur montrer pourquoi du mobilier zéro carbone ou de seconde main peut être un peu plus cher mais va durer plus longtemps, et être plus vertueux pour la planète et l’humain.
Philippe : C’est important d’avoir en face de nous des gens convaincus qui convainquent les autres ! On voit aussi que fédérer les utilisateurs finaux aide à transformer ce coût en argument positif. Dans le tertiaire, les employés apprécient des espaces meublés avec du mobilier fabriqué avec des matériaux vertueux, durables, réutilisables, et qui n’a pas pollué la planète. Alors que les entreprises s’ingénient à les faire revenir au bureau, cela donne un argument supplémentaire.
Quel accueil pour ces démarches bas carbone ?
Alix : Vous trouvez que les mentalités évoluent sur ces démarches bas carbone ?
Philippe : De plus en plus de clients et de maîtrises d’ouvrage demandent des analyses de cycle de vie, des analyses carbone, des certifications. Komut a tout ça : cela facilite beaucoup le contact avec les agences d’architecture d’intérieur. Notre concurrent, c’est un marché du mobilier qui a 100 ans, avec de vieilles machines qui polluent, qui pratique encore l’extraction minière… Il y a une énorme inertie dans ce secteur. On estime que seuls 15 % des gens sont convaincus de l’importance de basculer vers des démarches durables, et prêts à se battre pour imposer ça. Cela laisse encore beaucoup de monde à embarquer…
Pourtant, les cabinets d’archi sont prêts à évoluer. Quand on propose de les rencontrer, on a un rendez-vous dans la semaine ! Il y a de vraies attentes. En voyant nos créations, ils comprennent ce qu’ils peuvent imaginer en design, ils s’approprient l’ADN de la marque afin de le restituer à leurs clients.
Alix : Mahaut, dans tes projets, as-tu des clients qui ne veulent pas utiliser du mobilier de bureau d’occasion, qui a déjà eu une première vie ? Comment valorises-tu cette économie circulaire ?
Mahaut : En général, quand des clients se tournent vers Selency, ils sont déjà sensibilisés à la seconde main, et plutôt convaincus, au moins à titre personnel, que c’est une bonne solution. Reste à les convaincre sur le rendu. Avec la seconde main, on crée des lieux authentiques, uniques, avec du cachet, du charme. On a aussi des questions sur la qualité des pièces pour un usage intensif dans des hôtels, des bureaux. Notre équipe de décoration fait des sélections qui ont vocation à les rassurer, et travaille avec nos partenaires antiquaires et brocanteurs qui connaissent notre niveau d’exigence. Notre équipe de modération interne veille aussi à n’accepter sur Selency que les pièces dans un bon état. Nous réfléchissons aussi à réparer et reconditionner des pièces de mobilier de bureau d’occasion qu’on a positionnées chez des clients pour les remettre en circulation.
Alix : En m’intéressant à Komut, je voulais échanger avec toi, Philippe, sur le rôle que la technologie peut avoir sur le mobilier de demain. Quelle place trouve l’humain dans ce modèle ?
Philippe : Komut s’inscrit dans le digital craft. Notre chaîne part du cerveau et de la main, puis on utilise des techniques digitales très avancées, mais aussi du design paramétrique en termes de logiciels, afin d’avoir des modèles facilement remodelables. Quand l’impression 3D est terminée, nous n’avons plus qu’à donner un coup de ponçage sur la ligne de sortie. Il nous faut trois heures pour imprimer une table basse, elle est ensuite prête à livrer ! On peut ainsi aller jusqu’à 200 / 400 pièces par commande, pas des milliers, cela répond bien à notre marché.
Au-delà de la technologie, l’aspect sociétal compte beaucoup dans notre modèle. Nous collectons nos déchets sources dans un rayon de 30 km, voire 15 km en Île-de-France. On demande à nos fournisseurs de déchets comme Suez ou Veolia de faire un tri supplémentaire afin d’avoir la matière la plus pure possible. Ces étapes de tri créent des emplois via des structures de l’ESS qui fixent des gens en réinsertion. Cela a un coût : chaque tri augmente le prix du kilo d’un euro. Komut paie six euros du kilo, contre un euro au départ : ces euros ont payé des salaires qui contribuent de manière positive à la société, c’est essentiel pour nous.
Alix : Sur le volet sociétal, Selency met aussi en place le Green Friday pour embarquer ses équipes et ses clients au-delà du produit. Mahaut, tu nous expliques ?
Mahaut : Le Black Friday est bien sûr aux antipodes du modèle de Selency… Nous avons choisi de nous engager à la même date dans un Green Friday qui valorise une consommation plus mesurée et plus responsable via un achat de seconde main. Ce jour-là, on reverse 10 % de notre chiffre d’affaires à une association.
Bas carbone et seconde main : faut-il choisir ?
Alix : Depuis le début de notre échange, je mets en parallèle zéro carbone et seconde main. Quelles synergies imaginez-vous entre vos approches ?
Mahaut : Il y a quelques projets sur lesquels on intervient pour du 100 % seconde main, où nous ne pouvons pas répondre à certaines contraintes de normes ou de sur-mesure. On a alors besoin de partenaires qui partagent nos valeurs pour réaliser le projet complet ! Il y aussi certaines pièces peu présentes sur la plateforme, comme du mobilier outdoor : on sollicite alors des partenaires pour proposer des projets les plus circulaires possibles.
Philippe : je n’ai pas grand-chose à ajouter 😊 ! Nous avons la même vision de notre côté. Souvent, quand il y a un engagement chez le client pour mettre en place une démarche bas carbone ou de réemploi, le réemploi ne fonctionne pas partout, donc on se retrouve sur des îlots : zone café en réemploi, accueil sur mesure avec du Komut, table de salle de réunion à base de déchets marins, etc. Aujourd’hui, les usages des bureaux sont hybrides : le mobilier doit l’être aussi !
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Le mobilier de bureau, vous le voyez comment demain (et après-demain) ?
Philippe : Nous sommes dans une démarche engagée qui me pousse à dire qu’aujourd’hui, quand on achète du mobilier pas recyclable, ou du moins difficilement recyclable… On achète un déchet ! Mon conseil, c’est d’apprendre à décoder le mot « recyclable ». S’il y a six matériaux différents dans le produit, ils sont tous individuellement recyclables, mais peut-être assemblés par des colles, des thermoformages : ce genre d’objets ne doit plus être prescrit. Il faut choisir des produits comportant maximum trois matériaux et démontables. Chez Komut on va encore plus loin, puisqu’on est monomatière.
Mahaut : J’ai un point de vue plus Selency, donc je vois plutôt le mobilier de demain en mode ré-use, avec des solutions toujours plus performantes. Aujourd’hui, on crée des projets avec du mobilier existant pour nos clients, qu’on transforme en mobilier de bureau d’occasion. Demain, s’ils déménagent, ont envie de changer de décoration, on voudrait récupérer ce mobilier et leur proposer du nouveau mobilier pas neuf. On pourrait alors repositionner leur mobilier sur un autre projet, pour être dans une démarche circulaire très vertueuse. Dans cette logique, les objets peuvent avoir 10 vies, 20 vies ! On réfléchit aussi à proposer des solutions d’entretien du mobilier pour qu’il soit le plus durable possible.
Alix : La durabilité vous paraît indissociable du mobilier de bureau de demain ?
Philippe : C’est même la valeur la plus importante. Si un objet fabriqué avec des matériaux polluants dure 100 ans, c’est mieux que n’importe quel matériau fait avec des déchets qui durera seulement quelques années. La problématique est plutôt d’éduquer les clients pour qu’ils arrêtent de tout mettre à la benne quand ils changent !
Le mot de la fin !
Grâce aux éclairages de Philippe et de Mahaut, on constate un vrai changement à l’œuvre dans le monde du mobilier. L’important est désormais de sensibiliser au-delà, avec des outils comme le score Eco Impact qui offre un repère très visuel. L’upcycling est une autre filière intéressante, avec des produits robustes qui répondent aux contraintes des bureaux où il y a beaucoup de passages. Chez Wojo, on étude bien sûr de plus en plus le durable et le bas carbone, et on s’intéresse à la location de mobilier, en complément de solutions comme celles apportées par Komut et Selency !