Pas facile de faire face à la mort, que ce soit celle d’un collègue, ou lorsqu’un membre d’équipe perd un être proche. Quand plus rien n’a de sens, comment accompagner un collaborateur en deuil ? Alors qu’il n’existe à ce jour aucune formation RH pour aider les personnes qui vivent la perte d’un proche, certaines attentions et gestes restent essentiels lors de cette période de vie difficile.

Une traversée non sans remous

Neuf Français sur dix ont vécu un deuil au cours de leur vie. Qu’il survienne de manière inattendue ou de façon naturelle, la douleur causée par un décès parmi les proches reste bouleversante. Si la mort continue d’être taboue dans notre société où règne le « tout va pour le mieux », elle mérite une attention particulière de la part des entreprises qui vantent le bien-être au travail. Car la disparition d’un proche ou d’un collègue pose la question du sens, déjà très présente dans les interrogations des actifs. Le deuil est révélateur d’une facette aussi intime qu’il est universel. Au travail, l’injonction de « rester pro » pousse les survivants à refouler leurs sentiments. L’affaire est donc délicate en tant que collègue, manager ou dirigeant.

Dans un premier temps il est utile de comprendre le mécanisme psychique inconscient du deuil. Selon Christophe Fauré, psychiatre et auteur de « Vivre le deuil au jour le jour », on distingue un processus en quatre temps. La première phase s’ouvre sur le choc profond pendant lequel les émotions sont mises en veille avant de se confronter à l’absence du disparu. Ensuite, lors de la deuxième phase, la fuite par n’importe quel prétexte est courante, le travail fait alors office d’échappatoire. Ou au contraire on va chercher à connecter avec celui ou celle que l’on a perdu, cela peut passer par la parole, le récit ou la possession d’objets qui lui ont appartenu. En troisième position arrive la déstructuration du récit et un profond désespoir marqué de manifestations émotionnelles, accompagnées d’une perte totale de repères et de sens qui mènent à questionner le quotidien et l’avenir. C’est à ce moment que la personne endeuillée peut éprouver des difficultés au travail, puisqu’elle est considérablement affaiblie (manque de sommeil, d’appétit et capacités intellectuelles diminuées). La dernière phase voit la personne endeuillée reprendre le dessus, revoir ses relations au monde extérieur, après avoir apprivoisé la perte de l’être cher. La blessure peut alors cicatriser progressivement.

Il faut bien garder en tête que ce processus ne peut être anticipé avec précision dans le temps, surtout la dernière étape. Il n’y a pas de date limite au deuil, il s’effectue au rythme de chacun.

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Le deuil dans un quotidien en évolution

Pour apporter un regard différent sur le deuil et briser les tabous, Sarah Dumont, ancienne journaliste, a lancé Happy End. Le site regorge de ressources pour mieux vivre le deuil à notre époque et traite de sujets en phase avec nos modes de vie actuels comme l’empreinte numérique d’un défunt. Voici sa réaction quand nous lui avons demandé s’il fallait accepter de vivre pleinement son deuil au travail : « La question n’est pas qu’il faille ou non vivre le deuil au travail. On n’en a pas le choix, car c’est bien là que l’on passe la majorité de nos journées. En partie du fait que les jours de congés sont extrêmement limités quand on perd un proche : cinq jours ouvrés pour un enfant décédé et trois jours pour un époux, un partenaire pacsé ou un parent. Malgré le bouleversement on doit continuer à travailler, la vie ne s’arrête pas ».

Certains choisissent de prendre de la distance avec le travail pour surmonter l’épreuve, n’en parlant pas du tout dans le cadre professionnel. Ce silence imposé à soi-même mène souvent à un arrêt de travail : un tiers des actifs en bénéficient dans cette situation.

« La mort reste très taboue, les gens ne partagent pas forcément leurs difficultés, que ce soit par manque de confiance, pour se protéger d’un univers concurrentiel ou simplement parce qu’ils n’ont pas envie d’en parler. C’est le choix de la personne endeuillée d’en parler ou pas, mais en tout cas un aménagement par l’entreprise est à prévoir », explique Sarah Dumont. Et en effet, 92 % des interrogés estiment que le deuil peut s’étendre au-delà du cercle familial. Bien peu d’entre nous sont capables de cloisonner et faire barrage à leurs émotions : cela reste une affaire de tempérament, de pudeur, de force et de culture.

Le deuil en entreprise, entre intimité et professionnalisme

Le deuil au travail nous met face à l’irruption de sentiments forts et d’une situation d’une extrême intimité. L’entreprise se retrouve à cheval entre la vie personnelle et la vie professionnelle et sur un temps plus ou moins long, puisqu’un deuil n’a pas de date de fin.

Il est donc crucial d’inclure l’accompagnement de ce passage de vie dans le contexte de l’attention portée au bien-être au travail. Les façons de faire sont diverses et peuvent s’adapter à la taille de l’entreprise et à la situation. Suite aux attentats parisiens de 2015, dont une des attaques avait eu lieu à proximité du siège d’une entreprise , un patron avait réuni ses équipes pour permettre à chacun d’exprimer ses ressentis et de parler de la perte d’un proche. Les plus grandes entreprises mettent en place des cellules de suivi psychologique en cas de décès d’un collaborateur. Il peut être coutumier pour certaines, notamment pour des personnes qui ont passé beaucoup d’années au sein de la société, d’envoyer un hommage à la famille du défunt. Mais est-ce suffisant ? Comment accompagner la culpabilité de ne pas être soi-même endeuillé, l’embarras de collègues qui peuvent craindre de se montrer maladroits ou simplement gérer les remous du processus du deuil chez des personnes dont on attend une continuité de la performance au travail ?

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À qui revient la gestion du deuil en entreprise ?

Attention, la décision de communiquer sur son deuil auprès de ses collègues revient à la personne qui le vit et non aux ressources humaines ou au manager.

Mais lorsque c’est le cas, alors tout le monde est concerné ! Mais qui donne le ton ? Le manager, le DRH ? Ou devrait-on former les Happiness Officer, en charge de la qualité de vie au travail ? Trois quarts des personnes interrogées affirment que reprendre le cours du travail et de leur vie après la perte d’un proche a été bénéfique. Mais ce retour au travail ne s’effectue pas forcément comme on revient d’une maladie ou d’un pied dans le plâtre.

Pour Sarah Dumont, il est important de créer un climat de confiance en manifestant son attention discrètement, de passer dans le bureau de la personne concernée ou d’envoyer un mail attentionné, ou encore montrer que l’on est prêt à trouver des solutions d’aménagement des missions. Pour les collaborateurs mois proches, dire que simplement que l’on a été prévenu et que l’on compatit, montrer son attention sans pour autant devenir intrusif. Ainsi si la personne se sent en difficulté par la suite, elle se sentira soutenue et pourra parler si elle en éprouve le besoin. « Il faut ouvrir une porte pour faciliter le dialogue. Il faut que les supérieurs et les RH aient conscience de ce qu’implique un deuil psychologiquement », précise-t-elle.

Quand on fait face au décès d’un collègue

Quand le décès survient au sein même du travail, soudain le deuil est vécu de manière collective, même si chacun l’intériorise à son niveau. Assurer la continuité de la mission assurée par le défunt, chercher dans ses dossiers, affronter la vision de son poste de travail laissé vacant, adresser ses condoléances à une famille que l’on ne connait pas forcément… autant d’étapes délicates que l’équipe ne doit pas affronter seule.

C’est aux supérieurs de porter une attention particulière sur les équipes, d’initier le dialogue et de laisser la porte ouverte à chacun pour s’exprimer. Il sera alors temps de proposer des solutions d’adaptation, du télétravail et de prendre en compte les changements dans la charge de travail pour avancer tout en respectant la disparition d’un membre d’équipe. Surtout, c’est un cas particulier à traiter avec précaution et qui nécessite un renfort externe : « Il ne faut pas s’attendre à ce que les RH aient les compétences requises, certaines entreprises font appel à des équipes psychologiques pour gérer la mort brutale d’un collègue », avertit Sarah Dumont.

« Il faut proposer mais surtout ne pas imposer, » prévient Sarah Dumont. Il est tentant de gérer le deuil en groupe, mais bien souvent on n’en connait pas suffisamment le processus. On peut mettre en place une cellule par rendez-vous individuels et ensuite proposer des groupes d’échanges. Donner le choix reste la clé. Imposer quoi que ce soit aux collaborateurs pourrait donner l’idée que l’entreprise met un outil en place pour s’assurer d’une performance inchangée. »

Une difficulté additionnelle, parfois ignorée par les entreprises, est le moment du remplacement de la personne disparue. Une fois la décision prise de ne pas laisser le poste vacant, comment le faire avec pudeur et dans le respect des ressentis de chacun ? Il est facile pour les collaborateurs de prendre cela comme un signe que leur collègue est finalement interchangeable. Le contact entre le nouveau venu et les équipes sera décisif, il est donc logique d’impliquer en douceur ceux qui vivent ce deuil dans le processus de recrutement.

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Quand anticiper un retour à la normale après un deuil ?

Quatre personnes sur dix souffrent d’injonctions ou de phrases toutes faites. Dans le malaise certains seront tentés de faire preuve d’un humour déplacé qui dénote des incompréhensions par rapport au processus du deuil. Pour certains, passé l’instant T, le retour à la normale peut être brutal, alors que d’autres auront au contraire besoin de continuer « comme si de rien n’était ». Une fois les condoléances exprimées, personne ne sait quoi dire. Pour éviter les impairs, il est important de rendre compte que le deuil dure dans le temps, et que la personne qui le porte a besoin d’une attention particulière et de tact.

Car contrairement à une maladie, le collaborateur doit reprendre le chemin du travail avant d’être guéri. Pas question donc d’exiger de lui qu’il se donne à 200% comme si de rien n’était. Il revient alors au manager (et au reste de l’équipe) de garder à l’esprit que l’endeuillé qui revient travailler peut ne pas être « opérationnel ». Accablement, manque d’intérêt, impatience ou émotivité à fleur de peau peuvent survenir : autant de symptômes bien naturels. Il n’en reste pas moins que si la personne est de retour au travail, c’est parce qu’elle exprime le souhait d’aller de l’avant… il conviendra donc de faire preuve de tolérance et de patience.

Pour autant, infantilisation et excès d‘attention sont à proscrire. Valoriser, responsabiliser, encourager l’endeuillé à se mettre au travail et lui manifester de la confiance, tout en restant à l’écoute, seront les meilleures façons de le soutenir.

53 % des Français estiment que leur deuil n’aura pas de fin. « Il n’y a pas de règles, le deuil a une durée extrêmement variable. Il dépend du parcours individuel de chacun, car parfois une disparition peut réactiver d’autres deuils intimes qui n’ont pas été digérés », explique Sarah Dumont. 58 % des actifs en deuil ont été en arrêt de travail plus d’une semaine, 29 % l’ont été plus d’un mois. La solution ? Entendre la parole du salarié, comme au début où l’on a montré de l’attention et du souci pour l’autre et s’assurer que le dialogue ne va pas être coupé par un arrêt maladie, car la personne se sent incomprise. 

Vivre un deuil au sein d’une équipe au travail est une épreuve collective qui peut certes souder des relations humaines, même si bien sûr il s’agit d’un moment particulièrement pénible. S’il n’existe pas de processus déterminé et que le temps fait partie des facteurs aidants, les entreprises ont néanmoins un grand rôle à jouer.

Source des statistiques : Les Assises du Deuil par l’association Empreintes, avril 2019.

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